« Ça n’est pas beau de mentir ! »
C’est ce que ne cessait de me répéter mon père lorsque j’étais petite :
parce que, plus que tout, ce qu'il détestait, l'hypocrisie !
Et moi, la veille de sa mort, je n'avais pourtant pas hésité à lui faire un très-très gros mensonge. Celui qui m’aura hanté des années durant !
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Papa se trouvait en clinique après un accident de voiture. Il avait un bras et le nez de cassés. Mais, s’il était hospitalisé, c’était surtout à cause de trois côtes cassées qui l’empêchait de respirer normalement. J'ajouterai qu'il avait le coeur malade. On devait par conséquent le placer de temps en temps sous tente à oxygène. Celle-ci restait placée au-dessus de son lit en permanence.
Or, le cinquième jour, papa voulut à tout prix s’en retourner à son travail. Les médecins qui le soignaient s'étaient vu alors dans l'obligation, pour ne pas qu’il se lève, de l’attacher avec des sangles par les pieds, au bas de son lit.
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Je venais lui rendre visite chaque soir après l’école, accompagnée de maman.
Un soir, je me tenais tout près de lui, à la tête de son lit. Il me murmura tout bas : « Nicole, s'il te plait, donne-moi les ciseaux qui sont sur ma table de nuit ! ».
J’avais aussitôt deviné ce qu’il voulait faire avec les-dits ciseaux. Et sans aucune hésitation, j’avais répondu : « Mais Papa, il n’y a pas de ciseaux sur ta table de nuit ! ». Et lui d'insister alors : « Mais si, il y en a une paire de posée. Allez, donne-les moi les ciseaux ! ». Je restais camper sur ma négative. Alors, papa me dit : « Nicole, tu ne peux pas me décevoir ! Non, pas toi ! ».
Sous entendu, « Tu ne peux pas mentir ! Je ne t’ai pas appris à mentir ! Et là, tu me mens, ça n'est pas bien de mentir ! ».
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Une infirmière était alors arrivée. Sans doute avait-elle été appelée par un ami de papa qui se trouvait dans la chambre et qui avait compris la scène. Ou bien, par maman peut-être ! Je n'ai jamais su.
L'infirmière me prenant par le bras me fit signe de sortir de la chambre, tout en disant à mon papa qu’il n’y avait pas de ciseaux sur sa table de nuit et que je ne pouvais pas par conséquent lui en donner. Je quittais alors papa dont les yeux qui croisèrent les miens étaient bien tristes.
C'était ceux du dernier regard qu'il porta sur moi.
Tout comme avait été aussi la dernière phrase qu’il m’avait adressée de sa vie : « Nicole, tu ne peux pas me décevoir ! Non, pas toi ! ».
En effet, car le lendemain matin, papa était ramené mort à la maison.
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Je n’avais que 14 ans lors de cet épisode de ma vie.
J’ai longtemps culpabilisé de ne pas avoir dit la vérité à papa. J’aurais dû lui avouer qu’il y avait bien des ciseaux sur sa table de nuit mais que je ne pouvais pas les lui donner, parce que je n'en avais pas le droit, et pour son bien !
J'en voulais aussi beaucoup au service médical ! Pourquoi aussi, avait-il fallu que soit oubliés des ciseaux ainsi, et presque à portée des mains de mon papa ?
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Beaucoup plus tard, j'ai pu parler de mon chagrin et à mon unique cousine, soit, vers l’âge de mes quarante ans.
Celle-ci a pu alors me faire comprendre que j'aurais certainement plus déçu mon père si je lui avais donné cette paire de ciseaux qu’il me demandait. En ne les lui donnant pas, ces ciseaux, je m'étais montrée très sage et raisonnable envers lui : c’était une grande preuve d'amour filial que je lui avais montré ce jour-là.
Il l'aura certainement comprise, en se disant que ce n’était que ma sagesse qui m'avait dicté de lui désobéir.
Oui, en vérité, c'est ce qu'il ne pouvait que penser de moi !
Ma cousine m'avait montré ainsi, que malgré mes quatorze ans, j'avais très bien agi envers mon papa, comme je pensais tout le contraire depuis tant d'années !
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Si ce souvenir m’est revenu aujourd’hui à la mémoire, c’est parce que cette même sagesse m’aura fait mentir à nouveau.
Et qui plus est, pas plus tard qu'hier, jour de Noël !
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En fin de soirée, je suis allée rendre visite à maman à la maison de retraite où elle réside, depuis deux ans et demi maintenant. Je lui ai offert "son" almanach Vermot, entre autres.
Maman est une personne qui se complait toujours dans l'insatisfaction, et de dire qu'elle n'est pas heureuse, peu importe là où elle se trouve, même à qui elle le dit ! Depuis toujours, elle aime à se plaindre.
Dernièrement, parce que j'étais sans doute plus fatiguée, moi aussi, j'ai osé me plaindre à elle : de ma tension, de poussées de température qui survenaient pour un rien, de mes maux de tête plus fréquents que d’ordinaire et plus douloureux aussi…
J'ai osé lui dire : « Maman, il serait temps que tu comprennes que je n'ai plus vingt ans, moi non plus ! Mais bientôt soixante ! ». Et maman m'avait répondu alors et tout en rigolant : « Ben oui, c'est vrai! Tu vieillis toi aussi ! ».
Par contre, cela est extrêmement rare que maman se préoccupe de mon état de santé. Tout comme elle ne soucie pas plus de celui de quiconque autour d'elle !
Et voilà qu'hier soir, au cours de notre conversation, maman m’a demandé spontanément et très gentiment : « Ça va, toi, en ce moment, tu vas mieux ? ».
J'ai d'abord été surprise de sa demande... Je lui ai répondu du tac au tac : « Ça va, ça va ! ». Puis, j’ai vite changé de sujet… tout en faisant un petit sourire à mon homme qui était à côté de moi. Je lui avais fait part de ce que je répondrai à maman, si toutefois elle me demandait comment j’allais ces jours-ci.
Je m’étais fait cette promesse de ne rien lui dire à maman de ce que je savais depuis un mois maintenant. De ce que j’allais avoir à subir comme série d’examens au mois de janvier, et de tout le reste pour début février.
Tout simplement, parce que je ne veux pas que maman s’inquiète pour moi. Elle a bien le temps de savoir ! Je souhaitais l’épargner d’un souci me concernant ce jour de Noël, précisément !
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Ainsi, même si... « Ça n’est pas beau de mentir ! »,
hier, je lui ai menti, à ma maman !
Mais, si je lui ai menti,
ce n'est que pour une bonne cause.
Le jour de Noël,
n’est-il pas le jour où l’on n'offre que des cadeaux,
que du plaisir,
le jour où l’on ne veut mettre que du baume à l'âme,
et ne donner que la joie
aux personnes que l’on aime ?
Surtout, quand celles-ci sont âgées !
Et plus particulièrement,
quand il s'agit du coeur de sa maman !
Pourquoi, aurais-je donné autre chose pour son Noël,
que du ravissement à ma maman ?
Et quand bien même « Ça n’est pas beau de mentir ! », là, je n'aurai fait que cacher quelque chose me concernant pour la préserver et par amour envers elle !
J'aime tant maman ! Je sais qu'elle m'aime beaucoup aussi, qu'elle n'a de cesse d'avoir peur qu'il m'arrive toujours quelque chose de mauvais.
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Hier, j’ai donc menti à maman, et exactement de la manière qu’à mon papa il y a quarante cinq ans !
Mais je n’aurai menti encore une fois, uniquement que par amour filial, le plus naturellement du monde ! Sauf que cette fois, je suis en âge de le comprendre et que demain je n’en serai pas chagrinée.
Tout au contraire !
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Photo prise hier, le 25 décembre 2010
Aussi, je reste persuadée que Dieu saura me le pardonner !
C'est pour cela que je peux avouer
comme s'amusent si bien à le dire les plus petits :
« Même pas peur ! » …